Hommage au féminin
Comments : Off
Certains savoirs restent secrets. Certaines connaissances ne circulent plus. Trop de femmes ont oublié comment donner naissance par elles-mêmes, comment nourrir et même soigner leur enfant. Elles ne savent plus. Elles n’osent plus se faire confiance. Lorsque je choisis de devenir infirmière il y a plus de 30 ans maintenant, l’accompagnement et l’empathie faisaient partie de mes valeurs profondes. Un grand besoin de partager, de prendre soin des autres. Beaucoup d’insatisfactions vont émerger de mes premières années de pratique en France.
Malgré ma jeunesse, l‘absence de globalité dans la santé me frappe. C’est encore flou dans mon esprit mais la sensation d’inefficacité d’un tel système devient de plus en plus claire au fil des années. Je vais chercher, explorer, travailler dans différents services hospitaliers, des soins intensifs aux soins palliatifs, en passant par la chirurgie et la médecine; je vais aussi aller dans des entreprises, des centres de santé en France puis en Suisse. Je ne me sens nulle part à ma place. Mon travail se trouve souvent réduit à être une bonne technicienne mais la part qui me semble si importante : accompagner, écouter, être avec la personne malade est de plus en plus mise de côté. Les soins deviennent déshumanisés faute de personnel et je n’ai plus envie de cautionner ce système.
C’est au Québec que je vais approfondir des approches complémentaires de santé. Je vais étudier l’antigymnastique, l’herboristerie et pratiquer le yoga, la méditation de façon assidue pendant vingt ans. L’ostéopathie, la massothérapie, l’acupuncture et la psychothérapie vont aussi devenir mes alliées et me permettre de découvrir les nuances des messages du corps et les manifestations des déséquilibres corporels et psychologiques. Car j’ai si bien appris le corps pendant mes années en soins infirmiers, système par système, compartimenté, dissocié… pourtant je le connais plutôt mal. Je me connais moi-même mal. Comment puis-je m’occuper efficacement du corps et des déséquilibres des autres sans me connaître moi-même?
Lorsque j’ai vécu mes maternités, avec une césarienne et un accouchement sans assistance médicale, une nouvelle porte s’est ouverte en moi. Un voile s’est levé sur des connaissances enfouies depuis la nuit des temps, banalisées, parfois niées. Accoucher m’est alors apparu comme une découverte incroyable dans ma vie de femme. Un événement extraordinaire réduit pourtant à une hospitalisation dans la plupart des cas. On m’avait enseigné l’accouchement comme un phénomène potentiellement dangereux, certainement douloureux, nécessitant la plupart du temps des interventions médicales et un soulagement de la douleur.
Je découvrais à mon insu le secret le mieux gardé de l’histoire des femmes: leur capacité à mettre au monde leur bébé par elles-mêmes et la force qui en découle dans leur vie future. Cette force a été ignorée, méconnue, cachée et finalement oubliée par les femmes elles-mêmes. Alors l’infirmière que j’étais est devenue doula. J’aime ce nom qui sonne rond comme le ventre des femmes, comme les bébés qui naissent, comme l’amour des femmes. Une doula est une femme qui prend soin des femmes. Tout simplement.
Comme depuis la nuit des temps. Prendre soin, aimer, envelopper, suivre cette femme là où elle décide d’aller, à son rythme. Lui offrir soin et support, inconditionnellement. Devenir doula m’a permis de plonger dans l’accompagnement complètement et ne plus limiter mon action à des soins techniques et médicaux. Accompagner au rythme des parents, pendant des mois et des heures, sans jugements, sans attentes. J’ai tant appris des femmes ainsi. Elles m’ont permis de me connaître, elles ont dévoilé mes limites; elles m’ont appris la confiance, l’écoute, la patience et le non jugement. J’ai surtout découvert leur force et leur pouvoir: celui de donner la vie, celui de dépasser leurs peurs, leurs limites. Accepter que leur corps se transforme. Accepter aussi l’inacceptable parfois : l’infertilité, une césarienne, des forceps, une épisiotomie …
Nous glorifions un athlète qui bat un record de vitesse ou qui réalise un exploit une fois dans sa vie. Et les femmes qui ont le pouvoir de créer la vie passent presqu’inaperçues…pourtant, elles continuent sans relâche et changent le monde à chaque naissance. Donner naissance est un acte d’amour inconditionnel. Nous, doulas, nous accompagnons en silence, discrètement, ces femmes et leur conjoint pour qu’ils puissent vivre dans l’amour et la sérénité l’accueil de leur enfant. La seule présence d’une doula dérange parfois l’environnement médical.
Pourquoi? Parce qu’elle reflète la liberté de choix des parents, le pouvoir de la femme, la confiance en ses capacités et l’amour inconditionnel. J’aime profondément être une doula et je souhaite qu’il y ait des doulas dans toutes les communautés pour soutenir les femmes et les hommes dans leur désir d’enfant possible ou impossible, dans la naissance de leur enfant, dans la naissance de leur parentalité. J’ose croire que le monde peut changer. Imaginons TOUS les bébés naissants, accueillis dans l’amour, le calme, la confiance; soutenus par la force sereine d’une femme et d’un homme bien accompagnés dans ce passage. Rêvons à un monde plus tendre, sans violence, sans peur.
Isabelle Challut 819.323.4440 isabelle@centrepleinelune.com www.centrepleinelune.com www.allerretourverslaudela.com