Nous sommes beaucoup plus que la somme de nos gènes
Publié le mardi 18 juillet 2017 à 20 h 54 sur http://ici.radio-canada.ca/science (voir l’original)
L’hérédité n’est pas transmise uniquement par les gènes. Certaines informations dites « épigénétiques », transmises par les parents à leur progéniture, contribuent à réguler l’expression de ces gènes hérités d’une génération à l’autre. Elles prennent aussi part au développement normal de l’embryon lui-même, montrent les travaux de généticiens allemands. Explications.
Un texte original d’Alain Labelle
Ces mécanismes épigénétiques sont modulés par des facteurs environnementaux tels que l’alimentation ou le mode de vie. Ils jouent un rôle majeur dans le fonctionnement de l’organisme en permettant aux gènes de s’exprimer ou non.
Les travaux de l’équipe de Nicola Iovino, de l’Institut Max Planck d’immunobiologie et d’épigénétique de Fribourg, décrivent pour la première fois les conséquences biologiques de cette information héritée. Leur étude prouve aussi que la « mémoire » épigénétique de la mère est essentielle pour le développement et la survie de la prochaine génération.
En fait, ces travaux montrent non seulement comment les modifications épigénétiques sont transmises d’une mère à sa progéniture, mais surtout le rôle essentiel que ces changements jouent dans le développement de l’embryon.
De l’importance de l’épigénétique
Les généticiens ont longtemps débattu de la capacité des modifications épigénétiques accumulées pendant toute une vie à traverser la frontière des générations et à être transmises aux enfants ou même aux petits-enfants.
Les scientifiques estimaient que la mémoire épigénétique accumulée tout au long d’une vie était entièrement oubliée lors du développement des spermatozoïdes et des ovules.
Ce n’est que depuis les années 1990 que des études montrent que les informations épigénétiques peuvent être transmises à la descendance. Le mécanisme à la base de ce transfert et ses effets chez la progéniture demeuraient toutefois un mystère.
Les études épidémiologiques ont révélé une corrélation frappante entre l’approvisionnement alimentaire des grands-pères et un risque accru de diabète et de maladies cardiovasculaires chez leurs petits-enfants. Depuis lors, plusieurs études ont montré l’héritage épigénétique dans différents organismes, mais les mécanismes moléculaires étaient inconnus.
Nicola Iovino
Notre corps possède pas moins de 250 types différents de cellules. Leur ADN est composé des mêmes composantes (bases) placées dans le même ordre, et ce, même si les types de cellules sont fort différents par leur apparence et par leurs fonctions. Il suffit de penser à la différence entre une cellule de peau et un neurone.
Cette différence vient d’un processus épigénétique. Les modifications épigénétiques marquent des régions spécifiques de l’ADN afin qu’elles attirent ou gardent les protéines qui activent les gènes.
Ce sont ces modifications qui créent, étape par étape, les modèles de séquences d’ADN qui sont typiquement actives et inactives dans chaque genre de cellule. En outre, contrairement à la séquence fixe de « lettres » (bases) dans notre ADN, les marques épigénétiques peuvent également changer tout au long de notre vie en réaction à notre environnement ou à notre mode de vie.
Par exemple, le tabagisme modifie la composition épigénétique des cellules pulmonaires, ce qui peut éventuellement mener à l’apparition d’un cancer.
D’autres stimuli externes comme le stress, la maladie ou l’alimentation sont également « entreposés » dans la mémoire épigénétique des cellules.
Percer le mystère
L’équipe allemande a eu recours à des mouches à fruits pour explorer comment les modifications épigénétiques sont transmises d’une mère à un embryon.
Elle s’est concentrée sur une modification joliment appelée H3K27me3, qui se trouve aussi chez les humains. Cette modification altère la chromatine, l’emballage de l’ADN dans le noyau cellulaire, et est principalement associée à la répression de l’expression des gènes.
Les chercheurs ont constaté que les modifications de H3K27me3 dans les ovules de la mère mouche étaient toujours présentes dans l’embryon après la fécondation, bien que d’autres marques épigénétiques aient disparu.
Ils ont ensuite voulu savoir quel était le rôle de H3K27me3 dans l’embryon.
Pour y arriver, les chercheurs l’ont empêché de fonctionner normalement, au moyen d’outils génétiques spécifiques. Résultat : les embryons desquels H3K27me3 avait été retiré n’ont pas terminé leur développement.
Il s’est avéré que, dans la reproduction, l’information épigénétique n’est pas seulement héritée d’une génération à l’autre, mais qu’elle est aussi importante pour le développement de l’embryon lui-même.
L’observation des embryons modifiés a permis de constater que plusieurs gènes associés au développement, dont l’expression est normalement supprimée durant l’embryogenèse, s’étaient finalement exprimés dans les embryons sans H3K27me3.
Nous pensons que l’activation de ces gènes trop tôt pendant le développement a perturbé l’embryogenèse et a finalement causé la mort de l’embryon. Il semble que l’information épigénétique héritée est nécessaire pour traiter et transcrire correctement le code génétique de l’embryon.
Une théorie qui évolue
Ces travaux montrent clairement les conséquences biologiques de l’information épigénétique héréditaire. Selon les auteurs de ces travaux publiés dans la revue Science, ils fournissent la preuve que les modifications épigénétiques chez les mouches peuvent être transmises d’une génération à une autre. De plus, cette recherche révèle que les marques épigénétiques transmises par la mère contrôlent l’activation des gènes pendant le processus complexe de l’embryogenèse.
« Nous héritons bien plus que des gènes de nos parents », explique le Pr Iovino.
Il semble que nous héritons également d’un système de régulation des gènes aussi bien adapté qu’important, qui peut être influencé par notre environnement et notre mode de vie individuel.
Ces nouvelles données fournissent donc de nouveaux éléments d’observation selon lesquels, au moins dans certains cas, des adaptations environnementales peuvent être passées à notre progéniture.
En outre, étant donné que la perturbation des mécanismes épigénétiques peut causer des maladies telles que le cancer, le diabète et les troubles auto-immuns, ces nouveaux résultats pourraient avoir des implications importantes sur la santé humaine.